Lorsque Natalie Kechko épouse, en 1875, Milan Obrénovitch , prince de Serbie, elle croit vivre un conte de fée. Elle a tout juste 16 ans et son mariage vient de la consacrer princesse de Serbie. Les fastes de la cérémonie lui rappellent les parades militaires de son père, le colonel Kechko de l’armée russe. A son cou, un petit pendentif offert par sa mère la princesse roumaine Pulchérie Stourda brille de mille feux, comme pour lui rappeler que, désormais,elle est femme et que bientôt peut-être, elle sera reine.
Ses illusions sont encore grandes lorsque, sortie des bannières de la cérémonie de mariage, le carrosse princier les ramène au palais de Belgrade.
Milan est fort et volontaire. La Serbie vient de connaître une période de troubles sous la domination turque et cherche à construire son indépendance. Elle sait qu’auprès de lui la vie ne sera qu’une suite de conflits et de guerres. D’ailleurs, ne vient-il pas de trouver dans les événements de Bosnie et d'Herzégovine, un prétexte pour déclarer, de concert avec le Monténegro la guerre1 à La Porte2. Ne vient-il pas également avec sa principale armée, d’éprouver au cours de celle-ci un cuisant revers qui, sans l'intervention des grandes puissances, parmi lesquelles l'Autriche et la Hongrie , n’aurait pas vu la conclusion d'un traité de paix3 qui rétablit le "...statu quo ante bellum..." ?
Ces défaites successives rendent Milan Obrénovitch de plus en plus irascible. Son autoritarisme et ses nombreuses infidélités bouleversent la pieuse Natalie, qui se réfugie dans la prière ne trouvant la paix qu'à l'intérieur de la chapelle orthodoxe du palais. La venue au monde en 1886 du prince héritier Alexandre ne réussira pas à consolider le couple. Natalie s’éloigne du palais, fuyant les humiliations, voyageant à travers l'Europe..
Sa soeur, la Princesse Eugénie Ghika a acheté, quelques années plus tôt, le "Castel Biarritz" à Bidart. En cette fin de siècle, le château est un haut lieu de festivités nocturnes où se côtoient tout ce que l'Europe compte de têtes couronnées, parmi lesquelles la Reine Victoria, Georges V, Frédérika de Hanovre... Natalie oublie là les tracas de la cour, s’étourdissant dans un tourbillon de mondanités. Elle amène avec elle son fils qui aime cette côte atlantique. Depuis la plage, elle le regarde s'ébattre dans les vagues. Un jour, en le surveillant, elle se met à crier : les gesticulations de son fils l'alertent; il ne joue plus, il est en train de se noyer ! Natalie hurle, les dames de sa suite lui font écho. Un courageux bidartar se jette à l'eau et parvient à propulser l’enfant jusqu'au rivage. Mais le sauveteur ne peut rejoindre la plage et une lame de fond l'emporte au large. Natalie ne se remettra jamais de ce décès tragique dont elle se sent responsable. Pourtant, le pire n'est pas encore arrivé....
Il commencera à Weisbaden en Prusse, lorsque Milan fait enlever Alexandre qui a à peine onze ans. Certes, depuis 1888, leur querelles sont de notoriété publique et Natalie sent bien que quelque chose se trame. Elle l’apprendra en recevant cette terrible missive lui signifiant que le roi a fait prononcer leur divorce par le Métropolite4. Elle ne rentrera à Belgrade qu’un an plus tard, lorsque sa cruauté, son autoritarisme et sa corruption obligeront Milan à abdiquer en faveur de leur fils en 1889. Alexandre est désormais roi et Natalie espére enfin le retrouver. Mais, Milan est resté dans l’ombre, et l’enfant subit le cruel ascendant de son père. Elle ne l’approchera que très peu, éloignée de lui par une cour zélée ne lui reconnaissant plus aucun titre.
Natalie se révolte. Très peu soutenue, elle sera expulsée de Serbie en 1891. Elle se battra pendant trois ans et obtiendra finalement l’annulation de son divorce. La tête haute, elle rentre à Belgrade pour découvrir que son fils s’est définitivement éloigné d’elle.
C’est peut-être à cet instant qu’elle organise véritablement sa vie à Bidart. Elle rachète le castel et le transforme à l'image de son palais de Serbie, gardant ainsi la nostalgie d’un pays qu’elle ne reverra sans doute jamais plus. Elle le baptise "Sacchino", de l’affectueux surnom qu'elle donne à son fils. Généreuse, elle habille et nourrit les enfants pauvres avec autant de coeur qu'elle donne de somptueuses fêtes mondaines, plus réussies les unes que les autres. Ses largesses profitent à plus d'un titre aux habitants de Bidart. Aujourd'hui encore, on peut voir les fonts baptismaux qui trônent à l'entrée de l'église, don de Sa Majesté pour célébrer sa conversion au catholicisme en 1902. Cet ouvrage étonnant qui mêle à la fois esprit des Balkans et inspiration Judéo-Chrétienne, est un chef d'oeuvre tout à fait insolite en plein Pays Basque !
Un jour de décembre1897, elle perd un sac contenant des bijoux royaux auxquels elle tient particulièrement... Il lui seront rendu par un Capbretonnais dénommé Tauziat, auquel elle remettra une récompense de 200 francs, somme considérable pour l'époque.
A Belgrade, les murs du palais résonnent des amours d'Alexandre et de Draga Maschin, l’une des dames d'honneur de Natalie, suivi aussitôt par la splendeur poétique du couronnement de la nouvelle reine de Serbie. Un an après, Alexandre Obrénovitch Ier promulgue une constitution qui attribue à la reine son épouse le droit de succession au trône. Natalie, restée à Bidart, tremble pour son fils que ce mariage et ses mesures rendent de plus en plus impopulaire d’autant, le royaume est toujours en proie aux guerres intestines qui opposent depuis si longtemps les dynasties Obrénovitch et Karageorgevitch.
Et, c’est dans la nuit du 10 au 11 Juin 1903 que le pire arrive. Le roi Alexandre et la reine Draga sont massacrés dans la chambre de leur palais de Belgrade, par des partisans de la dynastie rivale...
Natalie ne survit à ce drame qu'en apparence. Elle quitte "Sacchino" et finit ses jours en 1941 chez les Soeurs de Sion. Elle repose dans le petit cimetière de Lardy dans l'Essonne, entrant ainsi dans la grande ronde des oubliés de l’Histoire.